De la souffrance d'être contractuel(lle) dans l'Education Nationale.
Je passe les grands discours à base de "Coucou les lapins, bon alors ça a changé dans ma vie". Certes, ma vie a changé mais je ne compte absolument pas la détailler outre mesure. Manque de temps, manque d'envie, inutilité notoire. Ca y est, je suis une vraie de vraie. Et à moins de cracher sur un élève ou de ramener une kalachnikov en classe je serai très bientôt titulaire. Je suis désormais professeur certifiée (= j'ai eu mon concours (et c'est la joie et les bisous)).
Aujourd'hui, alors que je gambadais joyeusement entre photocopieuse, machine à café et bureau du CPE, je croise une collègue qui tout comme moi est professeur stagiaire. En clair, c'est notre première année après avoir brillamment réussi le CAPES. Elle m'attrape le bras et me dit d'une petite voix "Dis voir, faut que je te dise un truc !". Alors que je pensais à quelque chose de grave comme notre élève en commun qui du haut de ses 12 ans se serait peut-être enfoncé un crayon dans le nez, elle me dit à voix basse : "Tu sais pas ce qu'a fait la contractuelle ?".
Voilà le contexte qui va me servir à développer mes propos. La dite collègue, contractuelle (c'est-à-dire tout simplement qu'elle n'a pas décroché le concours ou bien aussi qu'elle n'a pas envie de le passer), aurait commis une maladresse "diplomatique" envers la direction. Soit, ce qu'elle avait fait n'était pas très judicieux, là n'est pas la question. Ma collègue stagiaire surenchérit : "NAN MAIS EN PLUS ! Tu verrais le bordel dans ses classes ! A chaque fois que je passe devant sa salle, c'est un de ces bordels !".
D'un pas assuré, j'ai esquivé ma collègue stagiaire. Sans un mot. Parce que je ne voulais pas envenimer la situation. Parce que je ne voulais pas me lancer dans un discours que je suis de toute manière sur le point de livrer ici. Parce que j'avais encore des photocopies à faire et que très sérieusement je n'en avais que braire de ses histoires.
Ce genre de comportement, je le remarque désormais depuis que j'ai quitté le monde des contractuels. Il n'y a pas à dire, nous sommes en tant que professeurs jugés d'une façon totalement différente que nous ayons le concours ou non. Un professeur contractuel par définition est catalogué comme incompétent, ignare, incapable de réussir un concours, dénué de toute pédagogie et cerise sur le gâteau sujet à des bavardages des élèves autant dire le summum du ridicule en salle des profs.
Avant toute chose...
DEJA BORDEL LA CONTRACTUELLE ELLE A UN PRENOM.
Je règle la question de l'attitude des élèves envers un contractuel. Pour les élèves le contractuel c'est celui qui bien souvent arrive en cours d'année. La plupart ne sont pas nommés sur une année entière. Et mine de rien, c'est difficile d'asseoir une autorité sur des classes lorsque nous arrivons comme un cheveu sur la soupe (ou bien quand les dits élèves n'ont pas eu cours pendant deux mois et étaient bien contents d'aller bouffer des Kinder Bueno avec les copains plutôt que d'aller en maths (on peut remplacer ça par fumer des pétards derrière le bahut ou rouler des galoches aux gonzesses à l'abribus)). Il est également plus compliqué d'avoir une certaine aisance lorsque nous sommes les Mme X sur les emplois du temps des élèves. En effet, un gamin qui sait qu'il aurait Madame Bidulemuche appellera sa prof Madame Bidulemuche. Mme X c'est l'abstrait, Mme X c'est l'inconnu. Alors effectivement les élèves ont un rapport différent avec un contractuel, qu'ils sachent ou non le pourquoi du comment. Je l'ai ressenti donc je sais un peu de quoi je parle, mince !
Que certains contractuels soient des branquignoles je le conçois volontiers. Mais un titulaire non non, jamais. Ah bon ? Vous n'avez jamais, vous, rencontré dans votre scolarité des enseignants complétement à la ramasse ? Je parie que 90 % d'entre eux étaient des titulaires.
La réelle souffrance ne se limite pas aux simples bavardages des élèves. Elle se manifeste dans le rapport entretenu entre collègues titulaires et eux, ces contractuels. Entre des directions et des contractuels. Le contractuel en somme est le bouche-trou. Au sens propre du terme. Il vient combler un poste qui est resté vacant par un titulaire faute d'enseignants, congés maladie ou bien congés maternité. Il ne sert qu'à cela. Et à ce titre il est considéré à la mesure de son "rôle" et surtout pas comme un enseignant à part entière.
Le cas de figure que j'évoquais plus bas me fait vomir mes tripes. Il montre l'hypocrisie sous-jacente de certaines personnes qui se sentent supérieures grâce à un "titre". Si j'avais eu le courage de claquer dans la tronche un bien senti "Cocotte, tu enseignes depuis 3 mois et tu te permets de juger quelqu'un qui travaillait déjà quand tu portais des couches ?"... Mais non, j'ai participé à cette mascarade et ce soir je me sens mal de l'avoir fait.
Parce que d'accord, peut-être que certains contractuels ont des difficultés dans ce que l'on appelle dans le jargon de l'Educ Nat la "gestion de classe" (ce qui équivaut à la bonne vieille discipline). Et alors ? On ne peut pas l'aider plutôt que de l'enfoncer encore plus ? Où seraient passées nos journées entières de formation à deux euros six cents basées sur "l'entraide entre collègues et le travail en équipe" ? Ca, c'est le monde des Bisounours paillettés qui copuleraient sur des arcs-en ciel. En réalité, certains prennent le pli des messes basses et autres coups de poignard dans le dos bien trop rapidement.
Ce soir je voudrais juste avoir une pensée toute particulière pour mes anciens et actuels collègues contractuels. Je me rappelle avec admiration de certains et certaines adoré(e)s des gamins, qui avaient une pédagogie de malade, qui géraient les classes comme personne. Je pense à ceux et à celles que je ne connais pas mais qui sont contractuels depuis des années et sont victimes du mépris de l'Education Nationale. Je ne vous oublie pas de ma "hauteur" de professeur certifiée et je vous félicite chaudement de rester malgré tout.